QUÉBEC - Saviez-vous que Miles Davis était un fameux joueur d'aérophone ? Ou que Ringo Starr jouait d'un membranophone pour les Beatles ? Grâce au vocabulaire du ministère de l'Éducation, la musique devient méconnaissable.
Au Québec, si les musiciens suivaient à la lettre les préceptes du ministère, on ne parlerait plus de percussions, mais bien de membranophones. On ne dirait plus « la flûte à bec fait partie de la famille des instruments à vent », mais plutôt « la flûte à bec fait partie de la famille des aérophones à biseau ».
Grâce aux talents des poètes du ministère, le tambour deviendrait un membranophone à sons indéterminés, la guitare appartiendrait à la famille des cordophones à cordes pincées, et le triangle serait classé comme un idiophone à sons déterminés.
En poussant la logique jusqu'à l'absurde, on pourrait presque troquer l'expression « violonneux » pour celle, autrement plus savante, de « cordophoneux à cordes frottées ».
Dans son programme de musique à l'intention des première et deuxième secondaires, publié en 1996, le ministère de l'Éducation explique les raisons qui l'ont conduit à imposer de nouveaux noms pour les familles d'instruments.
La langue de bois et le charabia bureaucratique occupent les places d'honneur dans cette présentation, qui renferme quelques perles dignes de mention.
« On peut discuter de la nécessité de proposer une nouvelle classification instrumentale, peut-on y lire. Cependant, l'apport d'une nouvelle approche peut être valable lorsqu'il s'agit de systématiser non arbitrairement un ensemble de données éparses. » Comprenne qui pourra. « Telle qu'elle a été conçue, conclut le document, cette classification instrumentale permet d'avoir une vision globale de l'activité musicale dans une formation sociale donnée. »
Aucune fausse note
Au ministère, on se défend de vouloir imposer un nouveau langage. On refuse de percevoir la moindre fausse note.
Des sources internes précisent qu'on ne fait que proposer des mots pour décrire des instruments hybrides ou inclassifiables. On pense à certains instruments ethniques, par exemple.
À la décharge du ministère, il faut bien admettre la difficulté de classer avec précision un dulcimer, un théorbe ou un tympanon. De quoi flanquer une violente migraine à n'importe quel profane, vous en conviendrez. Sans parler des nouveaux instruments de musique que les élèves sont encouragés à créer de toutes pièces...
« C'est le programme et nous devons l'appliquer », constate Dany Lachapelle, le responsable de l'enseignement de la musique à l'Externat Saint-Jean-Eudes. M. Lachapelle concède que les mots « idiophone » ou « membranophone » sonnent un peu bizarre, mais il soutient que l'on finit par s'habituer. « Il faut bien préciser aux élèves que le mot "idiophone" s'applique à une famille d'instruments de musique et non à une catégorie de personnes », lance-t-il à la blague.
Difficile à imposer...
Reste qu'en dehors des salles de classe, le nouveau vocabulaire n'a guère de chance de s'imposer. Par exemple, le directeur du Conservatoire de musique du Québec, Michaël Carmichael, prend ces innovations avec un grain de sel.
« Ce sont des termes qui proviennent de l'ethnologie. Ils servent à classifier des instruments primitifs, parfois difficiles à comparer aux instruments modernes. Dans la pratique, on ne les utilise jamais. Je joue du cor. Dans mon esprit, il s'agit d'un cuivre, d'un instrument à vent. Pas d'un aérophone à embouchure. Allez voir n'importe quel musicien de l'Orchestre symphonique, et il vous dira la même chose ».
Pas de panique, donc. Mais parions que si le vocabulaire du ministère de l'Éducation avait été popularisé plus tôt, la musique et le cinéma présenteraient des visages différents.
En 1972, Mike Oldfield n'aurait pas composé l'album mythique Tubular Bells, mais bien Undetermined Sounding Idiophones, ou Idiophones à sons indéterminés, pour la traduction française. Quant au film La leçon de piano, qui sait s'il n'aurait pas connu davantage de succès en s'appelant La leçon de cordophone à cordes frappées ?
Tout cela pour dire qu'à Noël prochain, pour faire bonne mesure, ne chantonnez plus : « Il est né le divin enfant, jouez hautbois résonnez musettes ». Optez pour une version plus universelle : « Il est né le divin enfant, jouez aérophones à anche, résonnez aérophones à soufflerie ».
Après tout, si la musique adoucit les moeurs, elle ne calme pas tous le maux.